Prévoyance en Suisse: cinq erreurs qui coûtent des milliers de francs
La prévoyance vieillesse suisse repose sur un système sophistiqué, mais précisément cette complexité conduit de nombreux actifs à commettre des erreurs aux conséquences financières lourdes. Ces erreurs ne relèvent généralement pas de la négligence, mais d’une méconnaissance des mécanismes d’optimisation disponibles. Certaines peuvent représenter plusieurs dizaines de milliers de francs de manque à gagner sur une vie professionnelle complète.
Voici cinq erreurs fréquemment observées en conseil patrimonial, et surtout les stratégies pour les éviter.
Ne pas maximiser sa contribution au pilier 3a
Le plafond de cotisation 2025 pour le pilier 3a s’élève à 7’258 francs pour les salariés affiliés au deuxième pilier, et jusqu’à 36’288 francs pour les indépendants sans caisse de pension. Pourtant, selon l’Office fédéral de la statistique, moins de la moitié des actifs suisses versent le montant maximum autorisé.
Cette sous-utilisation représente un double manque à gagner considérable. D’une part, chaque franc non versé dans le pilier 3a est un franc imposé au taux marginal, qui peut atteindre 40% ou plus selon le canton et le revenu. D’autre part, l’effet des intérêts composés amplifie cette perte sur plusieurs décennies. Un salarié de trente ans qui verse systématiquement le maximum jusqu’à la retraite accumule environ 560’000 francs avec un rendement moyen de 4%, contre seulement 340’000 francs s’il commence dix ans plus tard. La différence de 220’000 francs provient uniquement du report de décision.
L’obstacle principal demeure souvent psychologique : à trente ans, la retraite semble abstraite, et d’autres priorités financières paraissent plus urgentes. Pourtant, même un versement partiel de 3’000 à 4’000 francs annuels dans la vingtaine produit un effet patrimonial supérieur à des versements maximaux débutant après quarante ans.
Négliger les rachats dans sa caisse de pension
Le rachat d’années de cotisation LPP constitue l’un des rares leviers fiscaux encore puissants en Suisse. Lorsqu’un salarié présente des lacunes de cotisation, généralement dues à des années d’études prolongées, des périodes à l’étranger ou des augmentations salariales importantes, il peut combler ces lacunes par des versements volontaires.
Ces rachats offrent un double avantage fiscal remarquable. Premièrement, ils sont intégralement déductibles du revenu imposable l’année du versement, ce qui peut générer une économie d’impôt de 30% à 45% selon le canton et la tranche marginale. Deuxièmement, l’argent versé travaille dans la caisse de pension avec des rendements garantis plus élevés que la plupart des placements sans risque.
Un cadre de cinquante ans avec un potentiel de rachat de 100’000 francs qui effectue ce versement économise immédiatement 35’000 à 40’000 francs d’impôts tout en augmentant son capital retraite. Comparé à un placement classique avec cet argent net d’impôt, le rachat LPP produit un effet de levier patrimonial considérable. La prudence commande toutefois de respecter le délai légal de trois ans entre un rachat et un retrait en capital, sous peine de devoir rembourser l’avantage fiscal obtenu.
Laisser son deuxième pilier chez la fondation institution supplétive
Lors d’un changement d’emploi accompagné d’une période sans affiliation à une caisse de pension, les avoirs LPP doivent être transférés sur un compte de libre passage. Par défaut, si aucune action n’est entreprise, ces avoirs sont versés à la Fondation institution supplétive LPP.
Ce transfert automatique pose un problème de rendement majeur. La fondation supplétive applique un taux d’intérêt de 0,40% sur la part obligatoire (à partir du 01.01.2024), alors qu’un compte de libre passage en titres auprès d’une banque ou d’une assurance peut générer des rendements moyens de 3% à 5% sur le long terme selon le profil choisi.
Sur une période de vingt ans, 50’000 francs placés à 0,4% (taux appliqué par la fondation supplétive) deviennent environ 54’000 francs, tandis que le même montant à 4% dans un compte de libre passage en titres atteint 110’000 francs. La différence de 56’000 francs résulte uniquement de l’inaction. Le choix du type de compte de libre passage mérite donc une attention particulière pour optimiser la rémunération de ces avoirs.
Omettre la protection du conjoint dans sa prévoyance
La structure des trois piliers suisses présente des particularités successorales souvent méconnues, particulièrement concernant le pilier 3a qui ne suit pas les règles d’héritage ordinaires. L’ordonnance OPP 3 impose un ordre des bénéficiaires strict, et sans clause spécifique, le conjoint ou partenaire enregistré hérite automatiquement en priorité, ce qui semble logique.
Le problème surgit dans les situations familiales non conventionnelles. Un concubin de moins de cinq ans ne figure pas dans l’ordre légal par défaut, et les avoirs iraient alors aux descendants ou parents. De même, dans le cadre du deuxième pilier, la rente de conjoint n’est pas automatique dans toutes les caisses de pension, et certaines conditions d’âge ou de durée de mariage peuvent s’appliquer.
La solution passe par une révision systématique des clauses bénéficiaires à chaque événement familial majeur : mariage, naissance, divorce, décès d’un proche. Pour le pilier 3a, il est possible de modifier l’ordre des bénéficiaires dans les limites de l’OPP 3, notamment en privilégiant un concubin même en dessous du seuil de cinq ans si une vie commune peut être démontrée.
N’ouvrir qu’un seul pilier 3a
La réglementation suisse autorise l’ouverture de plusieurs comptes pilier 3a simultanément, une possibilité que peu d’actifs exploitent. Cette stratégie multi-comptes présente un avantage fiscal décisif au moment du retrait.
Le capital du pilier 3a est imposé séparément du revenu, selon un barème privilégié, mais progressif. Retirer 200’000 francs en une seule fois déclenche une imposition bien plus lourde que de retirer quatre comptes de 50’000 francs étalés sur plusieurs années. Dans certains cantons, la différence peut représenter 15’000 à 25’000 francs d’économie d’impôt totale.
La stratégie optimale consiste à ouvrir deux à quatre comptes pilier 3a dès le début de sa vie active, en répartissant les cotisations annuelles entre ces comptes. Au moment de la retraite, les retraits peuvent être échelonnés sur cinq ans au maximum, chaque retrait restant dans une tranche d’imposition inférieure. Cette optimisation nécessite une planification anticipée, car les comptes doivent exister depuis plusieurs années pour justifier des retraits distincts.

